Publié le Mai 29, 2010 - 08:50 PM
Fiche de lecture
établie par Patrice Obert, président de La fontaine aux religions
LE CORAN DECHIFFRE SELON L’AMOUR
de Khaled ROUMO
Editions Koutounia
L’amour est un : Khaled Roumo a fait le pari difficile, en ce siècle de raison et d’indifférence envers l’humain, de nous parler d’amour. Il a choisi de nous en parler en nous invitant à un voyage plein de poésie mais aussi d’érudition à travers les lettres du Coran. Dès le début, (pages 13 et 14), il nous livre un système de transcription et chaque sous-chapitre, qui identifie des aspects de l’amour, s’accompagne d’une référence à un ou plusieurs groupes de lettres renvoyant à la même racine mais se déclinant en sens différents, voire parfois opposés. Il nous donne la clé de sa lecture en fin de parcours, en page 159 « en résumé, le jeu des racines, leur richesse sémantique, le lien de parenté qu’elles maintiennent entre des réalités proches ou opposées et la manière dont le tout se déploie, dans le contexte coranique, démontre, encore une fois, que l’amour est un – même s’il varie d’une personne à l’autre et chez la même personne – selon l’accueil qui lui est réservé ».
Faille ontologique et faillite civilisationnelle : Impossible de résumer cet hymne à l’amour, cet hymne aux manifestations de l’amour, qui débordent des sourates du Coran. N’hésitez pas à vous reporter à la table des matières. La seconde partie, qui est le cœur de ce livre, court de la page 59 à la page 209 et décrit, comme son titre l’indique, « les facettes infinies de l’amour ». Au cœur de ce long cheminement, la page 102 m’a livré une clé que je voudrais vous faire partager. « Faille, faillite, perfection : Les bouleversements internationaux qu’activent actuellement nos débats, trahissent la faillite de nos sociétés ; et cette faillite traduit une défaillance d’amour. Mais alors quel est cet amour qui serait capable de nous sortir de telles impasses ? Comment le régénérer ? Dans le verset coranique (Coran 41, 53), il est question d’extériorité (horizons) et d’intériorité (intimité). Et entre les deux dimensions se creuse une faille dont est faite la condition humaine ! En réalité cette faille n’est pas fonction d’une diversité quelconque (ethnique, religieuse, sexuelle, générationnelle, sociale…) ; elle est plutôt la traduction d’une rupture de soi à soi, d’une distance ontologique. »
Oubli – Rappel : J’y vois le cœur du message de Khaled Roumo. L’humain s’est coupé de lui-même, en oubliant Dieu, son Créateur. Il nous le redit page 68 « La beauté est un hymne au Créateur ! Et si notre époque est désenchantée, c’est parce qu’elle manque d’émerveillement, conséquence inévitable d’une rupture avec Celui qui préside à l’invention de la beauté, à son maintien et à son renouvellement : « Ils ont oublié Dieu : et du coup, Dieu leur a fait oublier qui ils sont » (Coran 59, 19) ». Et page 79 « L’acte d’adorer est le but ultime de la création des humains et des esprits ». Notre société oublie Dieu et se perd, telle est la mise en garde que nous adresse l’auteur. Mais il ne nous laisse pas sur ce constat triste. Il nous donne les outils pour nous retrouver en comprenant mieux combien le Coran est le livre par lequel Dieu, « Celui qui interfère entre l’être humain et son propre cœur (p84) », n’en finit pas de nous inviter à Le lire.
Une lecture à mille voix : Car l’Islam est né sous le signe de la lecture, nous indique l’auteur en page 47. «: Répétons que le nom de son livre fondateur est qur’ân, ce qui veut dire entre autres, lecture ! de même, le premier mot de la révélation coranique est une injonction à la lecture : Iqra’, lis, à l’impératif ». Et Khaled Roumo lit pour nous, lit avec nous et nous pénétrons peu à peu dans cette lecture à mille voix, nous enchantant de ce voyage entre les sons, les consonnes et les voyelles, un peu « sonnés » sans doute de cette diversité tourbillonnante, un peu ahuris devant le savoir si précis, si sensible de l’auteur et devant la facilité trompeuse avec laquelle il exprime chaque nuance, tant en arabe qu’en français.
Ainsi, le ton est donné dès la page 8 « la racine bada’a (créer des merveilles) se transforme en ‘abada (adorer) ! Si bien que, le matériau lexical commun aux deux racines (BD’/’BD) rétablissant le lien sémantique entre les deux termes, nous fonde à dire « seules les merveilles suscitent l’adoration ! ou encore : l’émerveillement en soi est un acte d’adoration. » Ainsi des deux racines FKR/KFR qui jouent sur les deux verbes réfléchir et renier (ou enfouir), ce qui revient à dire que le kufr, reniement, c’est l’enfouissement des fruits du fikr, la réflexion (page 88/89). Ainsi « la même racine KLM suggère en arabe, la parole et la blessure » (p 109), ce qui lui fait dire « l’amour naît dans cette faille qui représente une blessure d’amour, kalm, kulûm au pluriel, par laquelle s’insinue la parole Kalima : nom de Jésus dans le Coran, Kalimatu’l-Lah, Verbe de Dieu »(p 111). Et ainsi de suite…
Hymne à l’universel : l’auteur cite bien sûr souvent le Coran, des auteurs soufis, mais aussi de nombreux auteurs s’inscrivant dans d’autres traditions, chrétienne, hindoue et aussi des romanciers, plus souvent athées, car Khaled Roumo est avant tout un poète, comme il se définit en 4ème de couverture.
N’hésitez pas à ouvrir ce livre rare et à vous laisser surprendre. Chacun s’arrêtera sur un sens qui réveille en lui une émotion, un souvenir, un regret, une espérance. Chacun sera séduit par cette façon si libre et si rigoureuse en même temps de jouer avec les significations des mots.
Dans une dernière partie, l’auteur nous parle de « L’amour à l’œuvre ». C’est l’occasion pour lui de nous donner le sens universel de l’islam (unicité de Dieu et de l’espèce humaine, diversité de la création, dualité), [on notera page 221 : Le mal voile la face de ce qui est différent pour en altérer le sens et le transformer en différend], de différencier l’islam spirituel, l’islam universel et l’islam historique. Nous retrouvons (page 202) Khaled Roumo en fervent acteur du dialogue interreligieux : « Etant donné les similitudes de cet itinéraire avec celui d’innombrables chercheurs du vrai, issus d’autres communautés religieuses ou non, il serait absurde d’assimiler l’islam – dans son acception spirituelle- à une religion définie par de simples caractéristiques socio-historiques.»
L’être d’abord : Khaled Roumo n’ignore pas le poids du présent. En page 252, il rappelle que Modernité et Ouverture des portes de l’ijtihad (l’interprétation) sont deux nécessités posées devant l’islam contemporain. Mais il nous met en garde page 262 « Le danger réel n’est pas l’affaiblissement ou la mort des religions en tant qu’institutions, mais plutôt le peu de valeur accordé à l’être humain. Contrairement à ce qui est reçu dans certains milieux religieux, cette mort du sujet n’est pas le fait exclusif de l’athéisme mais plutôt d’une certaine idolâtrie qui mine l’esprit humain. Et cette maladie gît d’une manière occulte ou latente dans l’expérience religieuse elle-même… Autrement dit, désobéit à Dieu celui qui croit y obéir en excluant les autres du champ de l’amour divin ».
Khaled Roumo termine ce bel ouvrage sur une sorte d’appel inquiet « La question demeure : comment faire face à notre faillite en amour, cause de nos maux, que les mots seuls ne sauraient jamais résorber ? » Appel qui s’adresse à chacun de nous, croyants comme incroyants.
Qu’il sache que ses mots, en tous cas, nous auront aidés à mieux comprendre la Source qui l’anime.
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